Des géants de la conservation de la nature impliqués dans les crises de santé publique chez les « Pygmées »

15 Janvier 2018

Les projets de conservation de la nature et de déforestation sont l’une des principales raisons pour lesquelles les peuples autochtones ont accès à de moins en moins de ressources. Cette situation serait responsable de l’aggravation d’une récente épidémie en République du Congo. © C. Fornellino Romero/Survival

Cette page a été créée en 2018 et pourrait contenir des termes à présent obsolètes.

Une organisation congolaise a récemment soulevé des inquiétudes concernant des politiques de conservation de la nature qui auraient causé la mort de plusieurs dizaines d’enfants, principalement des « Pygmées » bayaka, lors d’une épidémie qui a eu lieu en 2016 en République du Congo – la dernière d’une longue série d’épidémies similaires.

Selon un expert médical, les décès, qui ont été causés par le paludisme, la pneumonie et la dysenterie, ont été aggravés par une malnutrition sévère.

La malnutrition liée à la conservation de la nature chez les enfants bayaka de cette région a été signalée depuis 2005 au moins, les gardes forestiers les empêchant par la violence et l’intimidation de chasser et de cueillir sur leurs propres terres.

Ces gardes sont financés et équipés par la Wildlife Conservation Society (WCS), l’une des plus grandes organisations de conservation au monde, et par la société d’exploitation forestière avec laquelle elle s’est associée, la CIB. Aucune des deux organisations n’a réussi à prendre des mesures efficaces pour prévenir les abus.

« Les écogardes nous maltraitent. Ils ne veulent pas que nous allions en forêt. Comment nourrir nos enfants ? », a déclaré un homme bayaka de Mbandza, la zone de l’épidémie, à Survival en 2016.

Ces gardes ont été accusés de maltraiter des Bayaka et d’avoir volé leur nourriture pendant plus de treize ans. L’une de ces agressions, qui a eu lieu à Mbandza au début de l’année 2016, a même causé l’hospitalisation d’un homme.

Le consentement des Baka et des Bayaka est requis par la loi pour tout projet important sur leurs territoires, mais le WWF et la WCS continuent de l'ignorer. © Survival International

C’est ainsi que les Bayaka sont expulsés violemment et illégalement de leurs terres ancestrales. Comme le confie une femme bayaka : « Quand nous allons en forêt, nous y mangeons bien par rapport au village. Nous mangeons des ignames sauvages et du miel. Nous voulons aller en forêt mais ils nous l’interdisent. Ça nous effraie. Ça nous fait peur. »

Les opposants ont noté que les gardes avaient également échoué à protéger la faune dont dépendent les Bayaka pour leur alimentation, car ils ne parviennent pas à lutter contre la corruption et la création de routes forestières, les deux principaux moteurs du braconnage.

Une situation sanitaire en chute libre a été signalée chez les Bayaka vivant dans les aires protégées de Dzanga-Sangha en République centrafricaine – l’un des projets phares du Fonds mondial pour la nature (WWF) – depuis 2006. Les conditions rencontrées chez les femmes plus âgées « seraient considérées comme une crise de santé publique par les agences sanitaires internationales », selon une étude publiée en 2016.

Une augmentation de la malnutrition et de la mortalité a été signalée chez les « Pygmées » baka au Cameroun, où le WWF opère également, et parmi les « Pygmées » batwa sur le site d’un autre projet de la WCS dans l’est de la République démocratique du Congo.

« Maintenant, nous avons peur des brigades anti-braconnage. Avant, quand une femme accouchait, nous l’emmenions dans la forêt pour l’aider à retrouver sa force et du poids ; maintenant nous ne pouvons plus le faire. Nous emmenions nos enfants dans la forêt pour éviter les épidémies ; maintenant, nous connaissons des maladies que nous n’avions jamais connues auparavant », a déclaré à Survival une femme baka au Cameroun.

Regardez les Baka décrire les abus auxquels ils sont confrontés suite aux projets de conservation du WWF.

Ni la WCS ni le WWF n’ont tenté d’obtenir le consentement des peuples autochtones, comme l’exigent la diligence raisonnable et leurs propres politiques des droits de l’homme.

Le directeur de Survival, Stephen Corry, a déclaré : « Le vol de terres est un crime grave et mortel, comme le montrent ces rapports. Nombreux sont ceux qui associent la conservation de la nature à la raison et à la compassion mais, pour les Baka et les Bayaka, elle est souvent synonyme d’une violence aveugle et d’une santé fortement dégradée. Quand le WWF et la WCS vont-ils enfin se mettre en conformité avec leurs propres politiques en matière de droits humains ? »

Chronologie

1996 : L’organisation Berggorilla & Regenwald Direkthilfe trouve que la malnutrition et la mortalité ont augmenté parmi les « Pygmées » batwa depuis qu’ils ont été expulsés de Kahuzi-Biega, un parc national dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) financé par la WCS.

1997 : WWF observe que le fait que les Bayaka soient interdits de chasse ou de cueillette dans le parc Dzanga-Ndoki, le parc en République centrafricaine (RCA) que le WWF a contribué à créer, « punit sévèrement les Bayaka » et sape leur sécurité alimentaire.

2000 : Une étude trouve que les Batwa de Kahuzi-Biega, en RDC, souffrent de carences nutritionnelles, car ils ne sont plus en mesure de chasser dans la forêt. Le taux de mortalité est monté en flèche. La malnutrition est particulièrement prononcée chez les femmes et les enfants.

2004 : Une enquête de la BBC sur les concessions forestières de la CIB au Congo entend d’un homme bayaka : « Nous ressentons tellement de souffrance à cause des gardes [forestiers]. Nous ne pouvons pas aller chercher des choses en forêt comme nous le faisions auparavant. Tout ce que nous entendons, c’est la faim ».

2004 : Des Bayaka d’une autre communauté au Congo signalent ceci à Greenpeace : « Nous avons ensuite rencontré un autre homme blanc (WCS) qui est venu nous dire d’arrêter de chasser et que les gardes-chasse s’en assureraient. Maintenant, nous avons peur d’aller loin dans la forêt au cas où les gardes-chasse nous attraperaient ; nous devons rester dans le village. […] Maintenant, nous mourons de faim. »

2005 : L’Observatoire congolais des droits de l’homme, l’organisation qui a signalé l’épidémie de 2016, documente trois cas de maltraitance contre les Bayaka par des gardes forestiers et prévient que certains Bayaka « meurent de faim ».

2005 : Un reportage raconte comment, dans l’une des concessions forestières de la CIB, des Bayaka décrivent être la cible de gardes forestiers qui les maltraitent et les emprisonnent temporairement et comment cela a conduit à une malnutrition plus fréquente chez les enfants et les adultes vulnérables.

2006 : Le WWF et ses partenaires commandent un rapport selon lequel les Bayaka de Dzanga-Sangha, en République centrafricaine, peinent à se nourrir. Les Bayaka interrogés pour le rapport déclarent que le projet de conservation les a forcés à quitter certains de leurs terrains de chasse et de cueillette les plus abondants. Ils rapportent que les gardes forestiers les harcèlent ou les attaquent même lorsqu’ils essaient d’utiliser les surfaces réduites qu’il leur reste, tout en acceptant les pots-de-vin des vrais braconniers qui vident la forêt de sa faune. Selon l’enquêteur, certaines femmes bayaka ont tellement de mal à trouver de la nourriture qu’elles ont été poussées à se prostituer dans la ville voisine.

2006 : Un article dans la revue scientifique médicale The Lancet met en garde que « les risques pour la santé des populations pygmées changent à mesure que les forêts d’Afrique centrale, qui sont à la base de leur structure sociale traditionnelle, de leur culture et de leur économie de chasseurs-cueilleurs, sont détruites ou expropriées par […] des projets de conservation ».

2008 : L’UNICEF alerte sur le fait que le droit des Bayaka à récolter des ressources est « bafoué au niveau le plus élémentaire car les autochtones n’ont plus accès aux zones riches en gibier », qui se trouvent à présent dans des aires protégées au Congo.

2012 : Un anthropologue, qui travaille depuis 18 ans avec les Bayaka au Congo, signale une alimentation de plus en plus pauvre et une mortalité accrue. Il attribue cela à la supression des ressources forestières par les bûcherons et aux « pratiques de gestion exclusives et draconiennes des conservationnistes ».

2013 : Un chercheur à l’Université d’Oxford rapporte que l’impact combiné de la conservation et de l’exploitation forestière a conduit à une détérioration de la santé et à des niveaux plus élevés de dépendance à la drogue et à l’alcool chez les Bayaka. Il fait valoir que les efforts de conservation gagneraient à obtenir le consentement des peuples.

2014 : Une étude médicale trouve que les « mesures punitives anti-braconnage » et la diminution de la faune sauvage ont fait chuter la santé des Bayaka à Dzanga-Sangha (RCA), en particulier chez les femmes. « Il est décourageant de voir le déclin de la santé si étroitement lié […] aux politiques de gestion de la conservation des vingt-cinq dernières années », notent les auteurs de l’étude.

2015 : Un médecin ayant une vaste expérience de travail dans les concessions d’exploitation forestière de la CIB déclare : « Outre les blessures infligées par des gorilles, des buffles ou d’autres animaux sauvages, mon collègue et moi-même voyons également des blessures [par balles] chez des personnes affirmant avoir été attaquées – parfois sans avertissement – par les protecteurs de la faune : les gardes-chasse. »

2015 : Le même médecin dit à Survival : « Je trouve que [la violence des gardes forestiers] est un problème très sérieux et, à mon avis, la plupart des gardes-chasse ont d’autres motifs que de protéger les animaux. »

2016 : Un deuxième médecin ayant une grande expérience de travail dans les concessions forestières de la CIB décrit à Survival la malnutrition saisonnière qu’elle rencontre chez les Bayaka, qu’elle attribue aux politiques de conservation répressives.

« Pygmée » est un terme générique couramment utilisé pour désigner les peuples chasseurs-cueilleurs du bassin du Congo et vivant dans d’autres zones d’Afrique centrale. Le mot est considéré comme péjoratif et évité par certaines personnes issues de peuples autochtones, mais utilisé par d’autres comme un moyen pratique et facilement identifiable pour se décrire.

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